Trop douillettes, les tentes pour les réfugiés ?

 

(Photo via FB Amnesty International Belgique)

Bien entendu, il y a les définitions: réfugiés, candidats réfugiés ou demandeurs d'asile. Pour faire simple, même s'ils n'en ont pas encore le statut juridique, j'utiliserai le terme "réfugiés" et en tout cas pas celui de "migrants" (ce terme passe-partout qui ne sert qu'à masquer la réalité).

Avant d’en arriver aux propos de Théo Franken, secrétaire d’État à l’asile et aux migrations, je dois bien avouer que ce qui m'est le plus dur à supporter, ce sont les propos de celles et ceux qui estiment que l'on délaisserait nos pauvres, nos handicapés ou nos SDF pour donner la priorité aux réfugiés. 

Comme si, s'agissant de personnes en difficulté majeure, un groupe pouvait avoir le pas sur l’autre; comme si toute action solidaire bien comprise ne tirait pas la société vers le haut, comme si le respect des droits de l’homme et des traités internationaux était à géométrie variable. 

Ce n’est pas évident de faire partager ce point de vue quand l’exclusion augmente, que la pauvreté s’étend et que des attentes légitimes sont loin d’être satisfaites ! 

Et donc, « des tentes trop douillettes pour les réfugiés », c’est ce que Théo Franken, a osé déclarer lorsqu’il a appris qu’une petite vingtaine seulement de demandeurs d’asile sur les centaines qui logent sous tente dans le parc Maximilien près de l’Office des étrangers à Bruxelles, s’étaient présentés pour passer la nuit dans de grands dortoirs mis à leur disposition.

(Photo via FB Khadija ben guenna) On n’attendait pas de ce ministre de la N-VA qu’il dénonce ce qui manquait à ces grands dortoirs : un peu d’intimité, un bon accueil et des personnes bienveillantes autour d’eux, des sanitaires et des douches convenables, la possibilité d’y rester le jour et de garder près de soi ses maigres bagages de réfugiés, etc.

Et Théo Franken d’ajouter encore : « Que voulez-vous que je fasse de plus ? Il faut leur offrir l’hôtel peut-être ? »

Une réponse méprisante qui ne manquera pas d’alimenter le populisme et le racisme ambiants et qui en dit long sur la conception des droits de l’homme de ce ministre du gouvernement de Charles Michel, un premier ministre qui va sans doute le laisser dire, une fois de plus…

Et c’est sans doute contraint et forcé que Théo Franken, plutôt partisan d’un durcissement des conditions d’asile (il l’a déjà démontré), doit proposer au gouvernement fédéral une nouvelle programmation de places d’accueil. 

Un élan de solidarité qui compense les carences de l’État fédéral…

Au vu de la personnalité du secrétaire d’État à  l’asile et aux migrations et du poids de la N-VA dans le gouvernement de Charles Michel , on ne s’étonnera donc pas du manque d’anticipation de ce gouvernement qui, au moment même où on pouvait s’attendre à un afflux de réfugiés, en était encore à fermer des centres d’accueil ou réduire leurs effectifs, tout en laissant l’Office des étrangers se démener avec des effectifs insuffisants. 

Heureusement, un grand élan de solidarité a permis à de nombreux volontaires aidés par différents organismes publics et privés de pallier les manquements du gouvernement fédéral dans l’accueil des réfugiés et de parer au plus pressé!

(Assemblée générale de la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, Bruxelles. Photo via FB Isabelle Marchal)

Mais que cela ne dédouane pas pour autant le gouvernement fédéral de ses responsabilités !

À Vielsalm et dans les communes voisines, la solidarité citoyenne se manifeste aussi avec force. Nombreuses sont les personnes qui se présentent au centre de la Croix-Rouge de Beho ou au centre de Fedasil à Bovigny pour proposer leur aide et apporter notamment des vêtements. La section locale de la Croix-Rouge ne manque pas de boulot, elle non plus !

L’écrasante responsabilité de l’Union européenne…

Et puis, il y a les incohérences et atermoiements de l’Union européenne, l’absence de solidarité entre ses membres dans la prise en charge des demandeurs d’asile, l’insuffisance criante de l’aide à des pays comme la Grèce, Italie et Espagne qui, aux frontières de l’Union européenne, se voit imposer le premier accueil des réfugiés.. Il est vrai que l’Union européenne n’est pas aidée par les réactions de certains pays comme la Pologne et la Hongrie, si peu solidaires.

Dommage que les 28 pays de l’Union européenne n’aient pas eu pour l’accueil des réfugiés, la volonté unanime déployée pour soumettre la Grèce et Tsypras à leurs ukases...

Ici encore, c’est l’Allemagne qui a donné le la en ouvrant toutes grandes ses frontières au nom du respect des droits de l’homme et des traités internationaux. Les raisons de cet engagement sont multiples. Voici un lien vers un article qui nous donne quelques pistes de réflexion à ce sujet.

Et son choix politique n’était pas vraiment désintéressé, ne serait-ce que pour la main-d’œuvre dont elle a grand besoin. Sa position ne manquait pas d’intérêt pour autant ! Mais elle a de nouveau agit seule sans attendre l'aboutissement des négociations européennes sur un plan de répartition (bien insuffisant!) et sur les conditions d'un accueil solidaire reposant sur l'ensemble des pays de l'Union. Sans doute ne se faisait-elle pas trop d'illusions sur l'aboutissement de ces négociations... Elle a en tout cas provoqué un énorme appel d'air sans avoir mis au point l'organisation de cet accueil dans son pays.

A présent, dépassée par le flot des réfugiés, Angela Merkel en revient unilatéralement au contrôle temporaire des frontières et ouvre la porte à d'autres initiatives du même genre de la part des pays les plus réticents à accueillir les réfugiés. Et, bien entendu, sautant sur la balle, Théo Franken n'a pas manqué d'envisager ce contrôle à nos frontières aussi.

Il est bien regrettable que dans ce dossier, on ait si peu entendu les socialistes européens et les socialistes français en particulier. Même chez nous, le PS a mis du temps pour prendre position

Une déferlante de réfugiés ?

« Il est certain que l'Europe voit en ce moment affluer un nombre de réfugiés important et sans précédent. Mais ils ne représentent jamais que 0,11 % de la population totale de l’UE. Au Liban, les réfugiés représentent 25 % de la population. Et cela, dans un pays où les gens sont cinq fois moins riches que dans l’Union européenne. » Un utile rappel de Jean-Claude Juncker dont vous pouvez découvrir un extrait de son intéressant discours sur l’état de l’Union concernant la problématique des réfugiés en cliquant ici.

Sur les 60 millions de réfugiés dans le monde, le Pakistan, la Turquie et le Liban sont parmi les pays qui en accueillent le plus. Et les réfugiés accueillis au Liban (près de 1,2 million)  vivent pour la plupart sous le seuil de la pauvreté dans d’immenses camps de tentes sans confort. 

Et si d’autres pays proches sont en défaut de les accueillir, nous ne devons pas pour notre part les rejeter. 

Près de 11 millions de Syriens (sur les 22 millions d’habitants que comptait la Syrie avant le conflit) ont dû quitter leur domicile et beaucoup se sont réfugiés en Turquie, au Liban et en Jordanie. Ils ont quitté leur pays ou les camps où ils dépérissent pour fuir la torture et la mort sous les bombes ou la mort économique et sociale.

Ce sont eux qui constituent à l’heure actuelle la part la plus importante des réfugiés (constitués de familles pour plus de 50 % d’entre eux), avec d’autres demandeurs d’asile en provenance de l’Irak, de l’Érythrée, de la Somalie ou de l’Afghanistan, des pays où la dictature et la guerre civile font des ravages.

(En quelques coups de crayon, Kroll pointe des clichés qui ont la vie dure et nous renvoie une image à combattre sans cesse!)

Il est bien difficile pour certains de prendre de la distance par rapport à la désinformation et aux bobards véhiculés par des sites d’extrême droite concernant notamment l'envahissement de la Belgique par des migrants (candidats réfugiés et autres...).

Il y a pourtant de quoi relativiser. La Belgique accueille à peine 4% des réfugiés accueillis dans l'Union européenne (près de 22.200 en 2014 et sans doute plus du double en 2015). Sur les réfugiés et l'immigration en général, je ne peux que renvoyer les internautes à des infos qui permettent de recadrer la situation.

Ainsi, j’invite mes lecteurs qui estiment – à tort – notre pays envahi par les étrangers à découvrir les statistiques présentées par le site www.diversité.be. Et qu'ils n'oublient pas que l'immigration et la diversité, comme le montrent bon nombre d'études, sont au bout du compte bénéfiques pour tous, y compris sur le plan économique! 

La nécessité d'un regard sur le passé et sur l'avenir...

Bien sûr, nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion sur les causes, sur les erreurs commises par les Occidentaux au fil de l’histoire de ces pays du Proche et du Moyen-Orient, sur leur soutien variant au gré de leurs intérêts, aux dictateurs en place ou à ceux qui les combattaient. Et on ne peut pas non plus faire l’impasse sur les ravages provoqués par l’extrémisme religieux, sur les conflits entre les chiites et les sunnites aggravés par la gestion occidentale des crises irakienne et lybienne.

On comprend que dans un communiqué publié récemment, la FGTB exige, à plus long terme, que des mesures structurelles soient prises pour s’attaquer aux causes des flux de migrants et de réfugiés : gestion des conflits, lutte contre le réchauffement climatique, changement de politique commerciale, coopération au développement volontariste.

Et elle ajoute bien à propos : « À n’en pas douter, aujourd’hui plus que jamais, c’est l’exploitation capitaliste des ressources humaines et naturelles qui génère des conflits économiques et politiques dans la majorité des pays dont sont issus les demandeurs d’asile. Il est impératif de proposer un autre monde, une autre « mondialisation » où les intérêts des grandes entreprises ne priment pas sur le bien-être des peuples. »

Bon, on est loin du compte, mais cela permet de prendre un peu de hauteur…

Médecins du monde et une Salmienne en première ligne!

Un dernier mot, pour évoquer l’action de Médecins du Monde qui est une organisation internationale de développement médical. Elle propose une assistance médicale aux groupes vulnérables dans le monde, notamment en Belgique, en favorisant l'accès aux soins et le droit à la santé.  Ces dernières semaines, elle était particulièrement active dans le parc Maximilien à Bruxelles.

Dans quelques semaines, une infirmière salmienne, Marie Burton, repartira pour une nouvelle mission avec Médecins du Monde, en Irak cette fois-ci, pour apporter une aide médicale urgente dans des camps de réfugiés.

Pour soutenir financièrement Médecins du Monde : http://www.medecinsdumonde.be/faites-un-don/action/1265/ 

 Jacques Gennen, 14 septembre 2015

(Départ pour l'école à FEDASIL-Bovigny. Au-delà de l'accueil, la question du parcours "d'intégration" (ce n'est peut-être pas la meilleure formulation) et des moyens à lui consacrer, est plus que jamais posée!)