En séance du Conseil communal du 4 mai 2015: débat sur le projet de traité transatlantique !

Voici mon compte-rendu, tel qu'il a été publié dans notre hebdomadaire local, L'Annonce de Vielsalm.

Quoi ? Un débat sur ce machin ? En quoi cela peut-il intéresser Vielsalm et ses habitants ? 

Au cours de la séance du Conseil communal de Vielsalm du 4 mai 2015, il a été question de gestion et de tri des déchets, de l’opération de développement rural, de la carrière de la Ronce, de l’expulsion d’une famille de demandeurs d’asile, mais aussi du projet de traité transatlantique, de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement que l’on désigne par l’acronyme anglais TTIP (et que d’autres appellent PTCI ou TAFTA…).

Je vais commencer par le débat sur le TTIP. C’est le plat de résistance du menu de la séance. 

Ce projet de traité intéresse chacun de nous car il peut bouleverser notre vie quotidienne en remettant en cause certains de nos acquis en matière sociale, culturelle ou de santé s’il est adopté…

Certes, la motion adoptée par le Conseil communal ne va pas avoir de l’influence sur la suite des événements mais il était bon qu’au Conseil communal de Vielsalm comme dans bien d’autres pouvoirs locaux et organisations politiques et socioculturelles, on débatte  de manière critique de ce projet de traité. 

Motion sur le projet de traité transatlantique (TTIP)

Un mot d’abord sur ce TTIP et sur les intentions de l’Union européenne, avant d’en arriver au débat.

L’Union européenne justifie la négociation de ce traité avec les Américains par sa volonté d’aider les citoyens et les entreprises, petites et grandes, 

-en ouvrant le marché américain aux entreprises européennes;

-en réduisant les formalités administratives qui pèsent sur les entreprises exportatrices;

-en fixant de nouvelles règles destinées à faciliter les exportations, les importations et les investissements outre-Atlantique, et à les rendre plus équitables.

Elle estime que le TTIP va créer des emplois et de la croissance dans l’ensemble de l’Union européenne,  faire baisser les prix et offrir plus de choix aux consommateurs. Elle estime aussi qu’il va lui permettre d’influer sur les règles commerciales mondiales et promouvoir ses valeurs sur la scène internationale.

Mais l’Union européenne veut aussi que les produits importés dans les pays membres respectent nos normes élevées qui protègent notamment la santé, la sécurité et l’environnement…

Vaste programme ! Mais… 

Entre les intentions déclarées de l’Union européenne et la réalité de la négociation et de son aboutissement, le fossé risque d’être énorme ! 

Beaucoup craignent avec raison que ce projet de traité, sous prétexte de faciliter les relations commerciales, n’entraîne en réalité un nivellement par le bas des normes protectrices européennes et nationales, bien supérieures à celles des Etats-Unis. De plus en plus de voix s’élèvent contre le TTIP !  

(Un rappel de standards de protection américains bien inférieurs, comme tant d'autres, à ceux de l'Union Européenne. Source: Comité Stop-TAFTA via Sott.net)

Le bourgmestre Élie Deblire présente au Conseil communal une motion déjà adoptée par le Conseil provincial du Luxembourg et qui demande la suspension des négociations dans l’attente de fixation de balises protectrices et d’une évaluation des enjeux ainsi que de l’état des négociations.

Le Conseil provincial, comme d’autres pouvoirs locaux, suggère dans sa motion une série de balises protectrices des normes sociales et environnementales européennes, des balises qui posent des exigences de coopération fiscale, de transparence des négociations, de renforcement des normes protectrices de l’environnement, des travailleurs, des consommateurs, de la santé et de la sécurité humaine.

La motion appelle également les gouvernements, les parlements et les négociateurs européens à exclure toute règle de l’accord qui porterait atteinte aux services publics essentiels aux besoins de la population et en particulier à l’accessibilité à l’eau, la santé et l’éducation.

La motion revendique également l’exclusion de l’accord des services et biens culturels ainsi que de l’agriculture. Elle dénonce enfin la soumission des États à une procédure d’arbitrage en cas de conflit par exemple avec des multinationales.

Élie Deblire : » Je vous propose d’adopter cette motion. Si un accord sur le partenariat transatlantique se fait à de telles conditions, cela pourrait être un plus pour l’Union européenne et ses habitants. » 

Mais cette motion n’est pas tout à fait du goût de François Rion ni de celui de Jacques Gennen d’ailleurs.

François Rion distribue un texte apportant certaines modifications à la motion proposée, des modifications justifiées par quelques idées maîtresses qu’il commente.

C’est que, pour lui, la liberté de commerce international et la croissance ne sont pas des dogmes intouchables contrairement à ce que peut laisser croire le projet de motion. De plus, la simple référence dans la motion à l’Organisation Mondiale du Commerce lui paraît insuffisante, cette dernière étant surtout marquée par un libéralisme débridé.   

Le conseiller écolo estime aussi que la motion doit mettre l’accent sur des relations commerciales placées sous le signe d’un développement équilibré et d’un progrès durable avec une priorité aux relations entre les peuples et aux productions locales. 

Il insiste particulièrement sur la nécessité d’une information sur le déroulement des négociations et sur une consultation régulière des parlements.

Il distribue ensuite une copie de l’article (« Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens ») publié par Lori M. Wallach dans Le Monde diplomatique de novembre 2013, un article particulièrement critique vis-à-vis du projet de traité transatlantique. Pour ceux qui souhaitent le lire, cet article est facilement accessible via Internet.

Antoine Becker : « Je me réjouis de voir la motion exiger que l’agriculture soit exclue du projet de traité. Les OGM et le gaz de schiste vont détruire la planète. Pour le surplus, François Rion sera mon porte-parole dans ce débat. »

François Rion : « Écolo estime qu’il vaut mieux ne pas avoir d’accord du tout. On n’a pas besoin de tels accords pour leur vendre notre Orval ou d’autres produits et pour leur acheter la batterie miracle qui permet de bien stocker l’électricité. Si elle est efficace et bon marché, on va leur acheter cette batterie ! Et si les Danois nous offrent mieux et bien, nous l’achèterons aux Danois. Pourquoi faut-il donc un accord de ce genre ? »

Élie Deblire : « Un accord de libre-échange peut garantir une gestion humaine correcte de nos relations avec les pays avec lesquels on fait du commerce. Je m’inscris pour ma part dans une dynamique de libre-échange avec des exigences. »

François Rion : « On peut très bien acheter aux Américains les produits qu’ils ont confectionnés à nos conditions et rien ne nous empêche d’aller contrôler sur place la qualité de leur production. » 

Élie Deblire : « Impossible sans un tel accord ! »

François Rion : « Eh bien, si on ne peut pas contrôler, on n’achète pas ! Je vous invite à assister à la conférence que donnera le député européen écolo Philippe Lamberts le 17 juin à Vielsalm. Il vous expliquera pourquoi il ne faut pas d’accord de partenariat transatlantique ! »

Et le conseiller écolo de poursuivre sa diatribe : « Les Américains veulent libéraliser encore plus le commerce pour faire sauter des barrières autres que tarifaires. 

On en arrivera à ce qu’un pays qui a émis des règles environnementales et qui se rend compte que ces règles ne sont pas suffisantes, ne pourra plus les renforcer sauf à dédommager les entreprises qui se sont appuyées sur ces règles. »

Tout en soulignant que certains Américains contestent également ce projet de traité et le secret qui entoure les négociations, François Rion ajoute : « Il y a une nouvelle économie générée notamment par le Web qui a surtout pour ambition de voir les entreprises s’installer en dehors des circonscriptions des Etats pour ne pas payer des impôts. 

Si les Américains se tournent vers l’Europe plutôt que vers la Chine ou l’Afrique, c’est parce que l’Europe est déjà en train de fragiliser tous les acquis sociaux et est incapable d’harmoniser son organisation économique et sociale. 

L’Europe est un courant d’air dans lequel le marché américain pourrait s’engouffrer. Mais bon, je ne vais pas vous demander de rejoindre notre position de rejet pur et simple, mais d’avancer dans le débat et d’examiner la proposition de modification. »

Élie Deblire : « Je suis d’accord avec les modifications proposées. Il n’y a pas de remise en cause importante de la motion présentée. 

La motion a aussi pour but d’envoyer un mot d’ordre à tous les parlementaires belges. Leur vote ne pourra être que négatif si le projet de traité ne respecte pas les balises contenues dans la motion. 

Je rappelle que le Parlement wallon a déjà adopté une motion demandant la suspension des négociations. Lors du vote, le MR s’est abstenu comme il l’a fait au Conseil provincial de Luxembourg. C’est bien dommage. »

Jacques Gennen : « Quand j’ai appris que nous allions discuter d’une motion concernant le projet de traité transatlantique, j’ai cru qu’il s’agissait de le rejeter purement et simplement. D’où ma déception aujourd’hui, mais une motion demandant la suspension vaut mieux que rien du tout.

L’autre jour, je participais à une réunion au cours de laquelle ce projet de traité revenait souvent dans la discussion. Plusieurs participants ont manifesté leur irritation estimant que la priorité devait être réservée à la contestation des mesures concernant notamment le chômage, les pensions et les prépensions prises par le gouvernement fédéral de droite. 

On leur a dit, bien entendu, que ce projet de traité pouvait avoir des conséquences encore plus désastreuses que les mesures prises par le gouvernement fédéral.

Il est vrai que, dès le départ, rien n’a été fait pour rassurer les gens. Les gouvernements européens ont mandaté la Commission européenne pour négocier, mais sans lui imposer des balises ni la transparence. »

Après avoir souligné combien il a apprécié l’intervention de François Rion, Jacques Gennen poursuit son intervention : « Les modifications proposées par François Rion sont importantes ! 

Il a raison d’être méfiant vis-à-vis de l’Organisation Mondiale du Commerce. Elle est en réalité au service d’une économie mondialisée où la loi du marché triomphe et cette économie est elle-même au service des grands groupes industriels et financiers.

Il y a d’ailleurs d’autres traités que l’on nous prépare au niveau de l’Organisation Mondiale du Commerce comme le projet d’accord sur le commerce des services, sans oublier ce que nous réserve encore l’Union européenne dans ce domaine. 

Les Américains savent que l’Union européenne est un partenaire fragile comme l’a souligné François Rion, un partenaire qui n’est même pas capable d’adopter une fiscalité juste et harmonisée ni d’avoir un grand projet économique et social, un partenaire auquel ils pourront imposer leur modèle !

Et puis, il y a la clause d’arbitrage soumettant les litiges entre États et entreprises multinationales à des tribunaux d’arbitrage qui pourraient prononcer des sanctions commerciales et financières contre ces mêmes États. Ce n’est pas nouveau, mais cela reste inadmissible surtout quand on connaît les normes libérales appliquées par ces tribunaux. C’en est trop pour la souveraineté des États ou ce qu’il en reste.

Je m’inquiète tout particulièrement pour certains services comme la santé et l’éducation. Ce n’est pas pour rien que les unions nationales de mutualités se sont unies pour dénoncer l’impact que le TTIP pourrait avoir sur l’accès à la santé et pour s’inquiéter du risque de remise en cause de la primauté de la santé et du bien-être sur les intérêts économiques.

Je suis donc d’accord d’adopter la motion telle que modifiée en fonction des propositions de François Rion. »

Après une dernière intervention d’Élie Deblire qui rappelle que la motion exige également l’exclusion des secteurs de l’éducation et de la santé du projet d’accord, on passe au vote et la motion modifiée selon les propositions de François Rion est adoptée à l’unanimité.

Jacques Gennen