Au conseil communal du 26 avril 2022: projet de nouveau village à Burtonville

Jérôme Derochette et Jacques Gennen

(Extrait du compte rendu paru dans le n°14 du mensuel Les Nouvelles de Salm)

Projet de nouveau village à Burtonville. Motion présentée par la minorité

Les conseillers écolos et de Comm’Vous ont demandé qu’une motion désapprouvant ce projet soit mise à l’ordre du jour de la séance du conseil communal.

Voici cette motion. 

« Vu la présentation lors de la RIP du 31 mars 2022 en la salle de Neuville, du projet de lotissement de 55 terrains à bâtir à construire au sein même du village de Burtonville ;

Vu les remarques exprimées à l’unanimité des membres présents par la CCATM en date du 13 avril 2022 ; 

Considérant que, pour les motifs exprimés dans le courrier adressé par des habitants des villages de Burtonville et Neuville, motifs également repris dans l’avis de la CCATM, une telle implantation est incompatible avec le développement harmonieux et le caractère rural du village de Burtonville ;

Considérant que cette implantation compromettra fortement le milieu de vie des habitants de Burtonville et Neuville pour toutes les raisons évoquées dans le courrier des habitants ;

Considérant que cette implantation est totalement inappropriée, ne répondant absolument pas aux objectifs d’aménagement du territoire fixés par la Région Wallonne ;

Considérant que plus de trois cent cinquante concitoyens et concitoyennes ont exprimé leur désaccord soit par courrier soit en signant une pétition de rejet ; 

Considérant que la future réalisation d’une étude d’incidences et le déroulement ultérieur d’une enquête publique ne doivent pas empêcher le conseil communal de prendre position contre le projet en cause et d’exprimer sa solidarité avec celles et ceux qui le contestent ;

Vu l’échange de vues entre membres du conseil communal ; 

Le conseil communal  

- exprime sa désapprobation à l’égard d’un projet qui porte atteinte à la ruralité, au développement rural harmonieux et équilibré de la commune et aux intérêts de ses habitants ; 

- apporte son soutien aux habitantes et habitants qui ont manifesté leur opposition à ce projet. »

François Rion : une gifle à la ruralité !

C’est François Rion qui la défend le premier, y allant d’une longue démonstration dont voici les principaux éléments.

Pour le conseiller écolo, c’est un projet qui est une gifle à la ruralité, un projet qui crée un lotissement de 55 habitations au sein d’un village qui n’en compte pas plus. Il ajoute : « Le tissu social du village serait totalement chamboulé. C’est ce même tissu social qui s’est installé dans tous les villages du monde en plusieurs décennies, plusieurs siècles, qui est l’expression de la ruralité. Une ruralité qui va de pair avec une qualité de la vie qui ne dépend pas systématiquement de la croissance économique, elle est inchiffrable. »

Il aborde ensuite divers problèmes liés à l’approvisionnement en eau, la sécurité routière, le débit internet et bien entendu les critères d’urbanisation que se fixe la Région Wallonne dont le premier objectif est de réduire la consommation des terres non artificialisées en la plafonnant d’ici 2025. 

Il rappelle les critères retenus par la Région wallonne : réutiliser le bâti existant, localiser les bâtiments à construire dans les tissus bâtis existants à proximité des services et transports en commun comme la gare. 

François Rion poursuit: « C’est en m’adressant principalement à l’échevin de l’agriculture que je rappelle que cette même Région wallonne vise à préserver au maximum les surfaces utilisées par l’agriculture. On comprend d’autant mieux l’utilité d’une telle démarche en cette période de conflit qui nous révèle clairement l’importance de l’autonomie alimentaire. »

Il fait ensuite un sort à quelques idées reçues : « Le raccordement à un réseau de chaleur cité par le promoteur, ce n’est pas moderne ; ça ne l’est déjà plus. D’année en année, les normes énergétiques des nouvelles constructions se renforcent vers l’objectif zéro énergie, voire vers des bâtiments à énergie positive.

On invoque la possibilité de logements pour les jeunes, mais à Burtonville, par exemple, 20 maisons se sont construites en 40 ans, des familles issues du village se sont installées sans problème sur les terrains disponibles, et il y en a encore…

Dans tous les villages, nos jeunes trouvent à s’installer. 

Quant au plan de secteur qui installe cette superficie dans une zone d’habitat à caractère rural, il ne donne pas un droit absolu à la construction. Encore faut-il, comme le rappellent des avocats, que “l’autorité compétente apprécie la conformité du projet au bon aménagement des lieux”. C’est là qu’intervient l’esprit de la loi. »

François Rion décrit ensuite ce qu’est une zone d’habitat à caractère rural. Comme l’indique le Code du développement territorial, elle est destinée à l’habitat, aux exploitations agricoles et aux installations de diversification agricole. Il y faut donc de la mixité entre l’habitat et l’activité agricole, ce à quoi doivent veiller les autorités administratives.

 

Joignant le geste à la parole, le conseiller écolo brandit un plan sur lequel se trouve l’implantation, en forme de pavé, de la zone en cause : « Vous remarquerez que ce pavé décrit comme urbanisable est unique sur tous les villages de la Commune, on ne trouve rien de comparable a fortiori sur des surfaces complètement vierges de construction. Les parcelles concernées par le projet plus les autres parcelles contiguës, mais situées à l’extérieur du projet totalisent plus de 8 hectares. 

Ce pavé retire toute possibilité d’activité agricole professionnelle sur une surface importante. Malgré la densité préconisée par le schéma de structure communal (7 à 10 habitats/hectare), ce pavé s’apparente plus à une zone d’habitat résidentiel en milieu agricole plutôt qu’à une zone mixte comme devrait l’être une zone d’habitat à caractère rural.

Ces arguments peuvent être plaidés à différents niveaux, de la RIP, à l’étude d’incidences réalisée, à l’octroi du permis, aux recours en différentes instances, jusqu’au Conseil d’État. 

Ils peuvent être plaidés parce qu’ils sont fondés. »

Il termine son intervention en rappelant l’objet de la motion sur laquelle le conseil communal est invité à se prononcer.

Stéphanie Heyden : « Les conseillers de la minorité ont voulu ensemble porter le débat au sein du conseil communal. 

J’ai assisté à la réunion d’information préalable qui s’est tenue à Neuville et j’ai été abasourdie par l’ampleur du projet. Il s’agit donc bien de lotir un terrain en 55 parcelles.

Nous avons eu en séance du conseil communal des débats concernant la zone d’aménagement communal concerté de Cahay.

À cette occasion, parmi les arguments qui ont été retenus pour mettre en œuvre cette zone d’aménagement, il y avait la possibilité de construire un certain nombre de logements à proximité du centre-ville. Le projet discuté aujourd’hui ne répond absolument pas à cet argument.

Donc, nous sommes en total désaccord avec ce projet de lotissement et il est important de montrer à la population que nous ne pouvons rester sans réaction face un projet qui va impacter les habitants des villages de Burtonville et de Neuville. »

Réplique du bourgmestre

Élie Deblire : « Je vous remercie pour cette présentation. Je rappelle quelques éléments. Nous avons eu une réunion d’information préalable à Neuville et elle sera suivie d’une étude d’incidence environnementale.

Des remarques pertinentes ont été émises lors de la réunion à Neuville. Des questions pertinentes ont également été posées. Le bureau d’études devra étudier ces remarques et questions et y répondre, de même que celles de ce soir peuvent être versées au dossier.

Nous avons adopté à l’unanimité un schéma de structure communal en 2017. Le fonctionnaire délégué a marqué son accord sur ce schéma de même que la commission consultative d’aménagement du territoire et de la mobilité et le conseil wallon pour le développement durable.

Aucune remarque n’a été émise sur la parcelle en cause. Bien sûr, notre schéma de structure n’est pas le plan de secteur mais il est une indication, il n’est pas obligatoire. Il indique à propos des objectifs de développement qu’il y a une hiérarchie entre les villages, Burtonville étant repris aux côtés de différents villages.

Il y a aussi des hameaux à protéger. Le schéma indique que la partie centrale doit garder une densité de logement proche de l’actuelle, soit 10 à 15 logements/Ha tandis que les extrémités non bâties doivent avoir une densité inférieure à 7 logements/Ha. Cette zone peut être la porte d’entrée par rapport à la zone où la densité est comprise entre 10 et 15 logements/Ha.

Burtonville dispose encore de 5,5 ha qui méritent une réflexion cohérente avec une possibilité de densité de logements de sept à 10 à l’hectare. Des propositions ont également été faites pour reconvertir des zones agricoles en zones forestières ou des zones forestières en zones agricoles dans le cadre de ce schéma. Je rappelle que le schéma de structure ne modifie pas le plan de secteur mais à l’époque, personne n’a mis sur la table la proposition que cette zone d’habitat à caractère rural devienne une zone agricole. »

Une opposition prématurée au projet, selon Elie Deblire !

Élie Deblire n’en reste pas là : « Je veux bien entendre aujourd’hui que tous les membres du conseil communal ne maîtrisent pas tous les aspects du schéma de structure et certains conseillers n’étaient pas là en 2017. Mais le schéma de structure est un document récent qui fait partie du dossier qui nous occupe aujourd’hui et qui sera utilisé par le promoteur.

Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore tenus de prendre position et s’opposer au projet maintenant me paraît prématuré et sans fondement objectif.

Le faire, c’est adopter une décision de principe prématurée et contraire aux principes de bonne gouvernance. Il faut qu’une procédure se déroule. 

Je suis d’accord qu’on prenne acte de vos remarques et qu’elles soient transmises à l’auteur de projet. Le projet est au début de son parcours et le Collège statuera sur la base de l’étude d’incidences qui répondra à toutes les questions et sur la base de l’avis des instances compétentes. Il y aura également les résultats de l’enquête publique. 

La zone d’habitat existe, mais cela ne nous impose pas, comme vous l’avez dit, de prendre une décision favorable à ce projet. Le collège devra apprécier en fonction du bon aménagement des lieux. 

Le collège n’est pas obligé de délivrer un permis, mais il doit motiver sa décision eu égard au bon aménagement des lieux. Je rappelle la loi de 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs qui impose une motivation en fait et en droit justifiant la décision prise.

On pourrait bien entendu refuser le projet le moment venu, mais on pourrait aussi le conditionner en tenant compte de certains éléments comme la gestion des eaux, la neutralité énergétique, le charroi, le bâti local, les consommations en eau, des éléments d’appréciation auxquels je suis sensible.

On pourrait aussi privilégier le développement d’une partie du terrain sans la création d’une route intérieure. Encore faut-il qu’une telle proposition soit bien motivée et réponde à la condition du bon aménagement des lieux. Aucune porte ne peut être fermée aujourd’hui.

Je vous propose la création d’un groupe de travail pour suivre ce dossier.

Il s’agit aujourd’hui d’une question de bonne gouvernance. Je vous demande donc de retirer la motion. À défaut, je proposerai l’abstention. Ne nous déforçons pas aujourd’hui au travers de cette motion qui est prématurée. » 

La position du bourgmestre ne satisfait ni François Rion ni Jacques Gennen !

François Rion : « Je rappelle qu’il s’agit d’une zone d’habitat à caractère rural. Quant au schéma de structure, il est sujet à révision. C’est vrai que tous les échevins, bourgmestres ou conseillers n’ont pas les outils pour plonger à 100 % dans la complexité de ces documents et c’est pour ça que l’on a payé un bureau d’étude pour le réaliser.

Je rappelle qu’en séance de la commission communale d’aménagement du territoire et de la mobilité, un des membres n’a pas mâché ses mots pour dire la manière dont le bureau d’étude a laissé passer une zone d’habitat comme celle-ci. Il a estimé que le bureau d’études aurait dû attirer notre attention sur la zone qui nous concerne aujourd’hui et ne pas la retenir telle quelle. On s’est fait un peu balader par ce bureau d’étude.

Mais qui aurait pu imaginer qu’un tel projet allait nous tomber sur la tête ? Il fallait un bureau hyper spécialisé pour anticiper mais pas nous.

C’est exactement la même situation que pour le zoning. Qui aurait pu imaginer qu’on en serait là aujourd’hui ? Nous ne sommes que des citoyens. Si vous nous expliquez que le refus d’un permis doit être argumenté, son octroi doit l’être aussi. 

Je sais votre approche ; j’ai déjà dit que le pouvoir local ne voulait pas faire des choix difficiles et voulait toujours avoir une couverture.

Dans un souci de conciliation, je vous propose, plutôt que supprimer la motion, de modifier la dernière phrase de la motion et de changer les mots “Exprime sa désapprobation à l’égard d’un projet…” par les mots “Exprime sa réserve à l’égard d’un projet… » 

Jacques Gennen : « Monsieur le bourgmestre, je ne vous suis pas du tout dans votre argumentation. Vous évoquez un acte administratif du collège qui pourrait être contraire à la bonne gouvernance à la suite d’une décision du conseil communal.

De quoi parle-t-on ici ? D’une simple motion qui exprime la position du conseil communal. Ce n’est rien d’autre !

On a bien le droit d’exprimer notre point de vue même si le conseil n’est pas compétent. On adopte bien d’autres motions, que ce soit à propos de la ligne 42 ou de la diminution de l’offre de services publics par exemple.

L’expression du point de vue du conseil n’est évidemment pas contraire à la bonne gouvernance et n’empêche évidemment pas la procédure de se poursuivre et le collège, le moment venu, de prendre une décision dans un sens ou dans l’autre. Il n’est donc pas question d’invoquer la bonne gouvernance dans cette discussion. »

Élie Deblire : « Évidemment, la motion n’est pas un acte administratif, mais l’acte qui sera adopté par le collège au terme de la procédure sera bien lui un acte administratif et ne peut pas être entaché par une décision préalable. »

Jacques Gennen : « Je redis simplement ce que j’ai déjà dit : le conseil communal a parfaitement le droit d’exprimer une position au travers d’une motion et il appartiendra au collège de prendre sa décision. »

Élie Deblire : « Je répète que le collège va devoir prendre un acte administratif qui ne peut être entaché par une position que nous aurions prise au sein du conseil communal sans avoir eu tous les éléments d’appréciation. »

Jacques Gennen : « Et moi je répète qu’il s’agit d’une motion et non d’une décision et que le conseil communal est parfaitement en droit de l’adopter. »

Cette petite partie de ping-pong terminée, François Rion intervient encore : « Je propose qu’on modifie la motion comme je l’ai demandé et qu’on ne la retire pas. »

Intervention d'Anne Klein

Anne Klein : « Pour ma part, j’ai lu, entendu, compris certains arguments des signataires de la pétition : impact du trafic à Burtonville et Neuville, problématique de l’approvisionnement en eau, densification dans une zone qui n’est pas une zone de centralité.

J’ai également entendu un argument tel que la nécessité en tant que mandataires, de veiller à ce que l’offre de terrains suive la demande de nos jeunes plus tard. Une demande à évaluer et objectiver bien sûr, en regard notamment du développement de la zone d’aménagement communal concerté à venir.

Comme j’ai entendu aussi un autre argument, celui de ne pas laisser l’urbanisation de ce terrain – inéluctable, on est en zone d’habitat ici - se faire de façon moins structurée/pensée/harmonieuse qu’elle ne le serait si ce terrain fait l’objet d’un projet dans son entièreté. 

Et enfin je suis sensible à l’émotion des habitants de Burtonville. Je pense que ce sont sans doute les villageois qui ont à subir les pires nuisances au niveau de la Commune. Donc, on peut comprendre que pour ceux-ci, tout ce qui est perçu comme une atteinte à leur environnement génère des réactions épidermiques. 

Lancer une pétition, déposer une motion, je pense que c’est une façon de se manifester, d’allumer des feux clignotants et je comprends le réflexe, la volonté d’être entendus même si l’ordre logique et démocratique des choses voudrait qu’on passe les étapes de la réunion d’information préalable puis de l’étude d’incidences et qu’ensuite, sur la base des données recueillies, on provoque alors un débat éclairé.

J’ai proposé au sein de notre groupe qu’un lieu d’échange entre tous les mandataires puisse se mettre en place et permette ce débat. J’ai été suivie et je pense que ce lieu de débat à plus d’intérêt que la motion. C’est pourquoi je m’abstiendrai de me positionner à ce stade.

J’espère qu’on arrivera à s’écouter, à se convaincre et à se laisser convaincre, à sortir du tout blanc/tout noir, tout faux/tout juste, Elie le méchant, François le gentil ou l’inverse, à prendre de la hauteur et à se placer du côté de l’intérêt de l’ensemble des habitants et des générations futures. C’est ça le baromètre ! »

Élie Deblire : « Je rappelle qu’un permis d’urbanisation peut être refusé à condition que le refus soit bien argumenté et motivé. Je veux redire aussi que le schéma de structure va compter dans le débat même s’il n’a qu’une valeur indicative.

Le rapport d’incidences environnementales nous permettra peut-être de limiter l’impact sur le village de Burtonville. 

Je me suis clairement exprimé. Je ne veux pas aller plus loin car je ne veux pas que l’on dise qu’on n’est pas neutre avant de prendre une décision. »

François Rion : « Mais nous sommes tous engagés en politique, nous ne sommes donc pas neutres et vous pouvez avoir une position aujourd’hui ! »

Jacques Gennen : « Les membres du conseil ont le droit de s’exprimer au travers d’une motion et je vous propose, Monsieur le bourgmestre, de la mettre au vote. »

Au vote, on compte six votes favorables à la motion (groupes écolo et Comm’Vous) et 11 abstentions (conseillers de la majorité), deux conseillers de la minorité étant absents pour des raisons familiales.