Conseil communal du 9 novembre 2022 : débat sur la gestion d'un compte communal par le bourgmestre seul

Jérôme Derochette et Jacques Gennen

(Extrait du compte rendu de la séance du 9 novembre 2023 paru dans la gazette Les Nouvelles de Salm n°21 de décembre 2022)

(NDLR, c’est un long et difficile débat que lance Stéphanie Heyden en commençant par sa longue intervention. Un débat bien nécessaire pour rappeler certaines règles essentielles de la gestion communale, un débat pendant lequel chaque intervenant s’est exprimé avec beaucoup de sincérité.)

Stéphanie Heyden : « Si vous le permettez, j’aimerais revenir à nouveau sur le compte solidarité/compte dons covid créé en avril 2020, dans le cadre de la crise COVID.

D’emblée, je veux rappeler vos termes utilisés à l’époque dans le folder distribué en toutes boîtesAfin de matérialiser ce remerciement de manière concrète, plusieurs citoyens souhaitent faire un don financier. Le souhait d’offrir un repas aux travailleurs est souvent cité. Avec les directions et responsables de nos homes, nous pensons que c’est une excellente idée. Ces dons pourraient aussi nous permettre de faire davantage encore pour les protéger. C’est pourquoi nous avons ouvert un compte Solidarité Vielsalm.

Ce compte sera géré conjointement par la Directrice financière de notre commune et par le Bourgmestre. Les besoins seront définis avec les directions des homes et les dépenses uniquement liées à ces demandes. Dès la fin de la crise, nous aurons à cœur de vous faire le rapport de gestion de ce compte que vous serez en droit d’obtenir. ” 

Chacun ici autour de la table se souvient de mes différentes interventions quant à ce rapport de gestion. Mes interventions ont toujours été animées par un souci de transparence et de bonne gestion.

Je vous ai interrogé à plusieurs reprises sur la gestion de ce compte : en juillet 2021, en mars 2022, en avril 2022. Il a fallu attendre avril 2022 pour pouvoir prendre connaissance de certaines factures et dépenses sans pouvoir disposer pour autant d’un rapport circonstancié.

Je rappelle ce que vous mentionniez dans votre communication aux citoyens, au début de la création de ce compte, je vous cite Nous aurons à cœur de vous faire le rapport de gestion de ce compte que vous serez en droit d’obtenir ” ».

Stéphanie Heyden soulève ensuite des questions importantes : « Plus de deux après la création de ce compte et sans réponse satisfaisante de votre part quant à la gestion de celui-ci, j’ai donc interrogé la directrice financière puisque comme chacun le sait, un compte communal ne peut être géré par le bourgmestre seul. Vous vous étiez, je le rappelle encore, engagé à le gérer avec la directrice financière.

Puisqu’il s’agit bien ici d’un compte communal, chacun autour de la table du conseil communal a un droit de regard sur les mouvements de ce compte.

J’ai donc obtenu, en interrogeant la directrice financière, les extraits de compte du compte solidarité et les réponses à certaines de mes questions qui vous vous en doutez, m’amènent aujourd’hui à me poser, à vous poser, toute une série d’autres questions.

Je voudrais tout d’abord vous faire état de ma grande surprise lorsque j’ai appris par la directrice financière qu’elle s’était désolidarisée, ce sont ses termes, de la gestion de ce compte ! Et ce, dès juin 2020 ! Je souhaite en connaître les raisons. Alors que l’on est unanimes ici autour de la table du conseil communal pour saluer les compétences et la rigueur de son travail, j’avoue avoir du mal à comprendre cette désolidarisation de sa part.

Ensuite, je suis évidemment surprise du montant disponible encore sur ce compte puisque le compte affiche à présent un solde positif de plus de 22 000 €.

Et puis, de dons motivés par la crise sanitaire, les dons sont devenus pour certains, dons Solidarité Ukraine. 

Je n’ai évidemment rien contre le fait de faire des dons pour de l’aide humanitaire, mais nous ne sommes plus dans les mêmes objectifs que ceux qui avaient été annoncés. 

Ce changement aurait dû au moins faire l’objet d’une bonne information et d’une décision du conseil communal ! 

On constate également des dons très importants de la part de certaines entreprises. 

Mais surtout, j’ai pu me rendre compte de dépenses importantes ces derniers mois, dépenses depuis ce compte pour un montant de plus de 22 000 € ! Avec par la suite, un remboursement du Fonds du logement pour la totalité des sommes dépensées, soit plus de 22 000 €.

Vous êtes seul, comme vous l’avez indiqué en séance du conseil communal, à gérer ce compte en dehors de toute légalité. Il y a tout de même des dépenses supérieures à 12 000 €, rien que pour une dépense…

Franchement, je trouve cette situation complètement nébuleuse… »

Il ne s’agit pas d’une question d’honnêteté !

Stéphanie Heyden : « Loin de moi l’idée de mettre en cause votre honnêteté quant à toutes ces dépenses, mais je trouve anormal que vous gériez ce compte tout seul puisque vous saviez depuis juin 2020 que la directrice financière s’en était désolidarisée. 

Trouvez-vous cette situation normale ? Pour ma part, pas du tout.

Et si, de nouveau aujourd’hui ou dans les prochains jours, je n’obtiens pas des réponses satisfaisantes, je n’aurai d’autre choix que d’interroger la tutelle sur de telles pratiques… »

Le bourgmestre : « Vous avez demandé à obtenir les différentes factures et je vous les ai données, avec l’état des recettes et des dépenses. À un moment donné, j’ai ensuite fait une communication, puisque cette partie du compte “solidarité” à la suite de la crise Covid était clôturée, nous avons gardé le même compte et nous avons communiqué par rapport à la crise ukrainienne. Cette crise a effectivement été gérée avec les dons reçus, pour agir le plus rapidement possible, et nous avons fait des dépenses, en concertation avec les gestionnaires du home de Provedroux, pour qu’il soit fonctionnel le plus vite possible et pouvoir accueillir ces personnes.

Il y a une transparence totale puisque la directrice financière peut, comme elle l’a fait d’ailleurs et il n’y a pas de souci, contrôler les recettes et les dépenses de ce compte. » 

Stéphanie Heyden : « Vous dites qu’à un moment donné, le compte Solidarité a été clôturé. Quand ? »  

Élie Deblire : « Il n’est pas clôturé, on sait dire les dons qui ont été reçus pour le compte solidarité pour la crise Covid et les dépenses qui ont été faites et il y a le solde, solde qui est toujours présent. Puis, il y a eu des dons pour la crise ukrainienne, qui sont arrivés à partir d’une telle date et qui ont permis notamment la mise aux normes du home. » 

Stéphanie Heyden : « OK, mais quand avez-vous fait une communication au conseil communal, pour informer que le compte initialement ouvert dans le cadre de la crise Covid, allait servir dans le cadre de la crise ukrainienne ? » 

Élie Deblire : « Je n’ai en effet pas fait de communication envers le Conseil communal mais, je ne sais plus à quel moment, à travers le Salminfo. » 

Des dépenses pour l’aménagement du home de Provedroux 

Stéphanie Heyden : « Je comprends que des dépenses ont été faites pour l’aménagement du home de Provedroux. Comment cela a-t-il été géré ? Par qui ? Comment les entreprises qui ont effectué les travaux ont-elles été choisies ? C’est vous tout seul qui avez décidé ? Ou le Collège ? Sur base de quelle analyse ? En fait, vous avez contacté tout seul des entreprises, sans aucune consultation, et sans marché public. » 

Élie Deblire : « Elles ont été choisies en fonction de l’urgence, en fonction de la disponibilité des gens, en fonction des rapports que l’on avait reçus, et j’ai géré le plus rapidement possible. » 

Stéphanie Heyden : « Donc, vous avez tout décidé tout seul, sans prendre la peine de consulter d’autres entreprises qui auraient pu répondre aussi. » 

Élie Deblire : « C’est en fonction de la disponibilité des entreprises que cela a été fait. » 

Stéphanie Heyden : « Votre réponse n’est pas satisfaisante, vous avez décidé seul, et vous invoquez l’urgence, mais on peut passer des marchés publics en urgence, c’est possible en une semaine de temps. » 

François Rion : « La gestion de ce compte devrait à tout le moins relever de la responsabilité du collège, qui se réunit toutes les semaines. Vous parlez d’urgence ? Ce n’est pas le souvenir que j’en ai. L’aménagement du home a pris beaucoup de temps, c’était même un peu effrayant. De semaine en semaine, on parlait de l’ouverture du home, cela a traîné plus de temps que l’urgence dont vous parlez. » 

Élie Deblire : « Il a fallu la visite de Vinçotte et cela prend du temps. » 

Une gestion dans l’illégalité ? 

Jacques Gennen : « Ce que je retiens des propos de Stéphanie Heyden, c’est que vous avez géré ce compte tout seul, comme vous l’avez reconnu. C’est cela qui ne va pas. 

Je comprends qu’un bourgmestre devant une situation d’urgence prenne certainement une décision. Mais ce qui n’est pas légal, ce qui n’est pas admissible et qui ne répond pas à ce que l’on peut attendre comme bonne gouvernance au sein d’une commune, c’est que vous preniez les décisions tout seul.   

Vous avez pris des décisions seul, que ce soit pour l’aménagement du home ou pour d’autres choses – le home, ce n’est qu’un élément - et que vous n’êtes même pas revenu devant le collège pour qu’il y ait un rapport, une délibération.  

C’est cela qui ne va pas. Je ne peux que regretter cela et vous en faire le reproche. Personne ne remet en cause votre bonne volonté ou votre dévouement, mais il y a là franchement un vice, une mauvaise administration, il y a quelque chose qui ne va pas. 

Et je veux, en tout cas, je souhaite que pour l’avenir, cette gestion de ce compte se fasse d’une tout autre manière que celle qui a prévalu jusqu’à maintenant, c’est indispensable et cela évitera ce genre de discussion. » 

Élie Deblire : « Je prends acte de vos remarques, Monsieur Gennen. » 

Stéphanie Heyden : « Je reviens encore sur la décision de la directrice financière de se désolidariser de la gestion du compte. Pourquoi une telle décision a-t-elle été prise ? Je ne la comprends pas. » 

Élie Deblire : « Je n’ai pas eu de débat particulier avec elle, je ne me souviens pas de cela puisqu’elle a toujours accès au compte et je ne savais même pas que le Fonds du logement avait remboursé les sommes dues et elle, elle le sait. » 

Stéphanie Heyden : « Il reste 22.000 euros sur ce compte. Si nous ne vous avions pas interpellé ce soir, comment saurait-on l’usage qui a été fait des dons versés ou qui en sera fait ? En tous cas, nous, conseillers de la minorité, on ne sait pas, mais peut-être, vous, dans la majorité, en parlez-vous souvent ? » 

Philippe Gérardy fait la moue devant une telle question et Stéphanie Heyden l’interpelle : « Étiez-vous au courant de l’utilisation de l’argent du compte solidarité et trouvez-vous cela normal ce genre de pratique, un bourgmestre qui gère tout seul un tel compte ? » 

Philippe Gérardy lui répond qu’il n’a pas envie de répondre.  

Thibault Willem : « Devant une situation d’urgence, il faut quand même pouvoir agir. Monsieur Gennen a été bourgmestre et a sûrement lui aussi dû prendre des décisions en urgence ! » 

Jacques Gennen : « Oui, bien sûr, mais tout de suite, je revenais devant le collège et même devant le conseil communal pour faire rapport et pour qu’une délibération soit prise en bonne et due forme. Je pense par exemple à des décisions portant sur le comblement d’un trou en aval du plan d’eau ou encore l’évacuation de boues de dragage du plan d’eau.  

Je ne vise pas particulièrement une décision précise parmi d’autres, un dossier précis parmi d’autres.  

Je mets en cause une gestion globale, un mode de gestion qui n’est pas légal, qui ne correspond pas à ce que j’appelle la bonne gouvernance, et qui s’étale au fil des mois. C’est cela qui me fait demander au bourgmestre qu’à l’avenir, il y ait un tout autre mode de fonctionnement. » 

Stéphanie Heyden : « Ce n’est pas normal qu’on doive revenir à la charge avec ce compte et poser de telles questions. »  

Élie Deblire : « Je vous ai répondu sur les dépenses pour la crise Covid et donné le détail. » 

Stéphanie Heyden : « Parce que je vous ai demandé ces informations à plusieurs reprises Monsieur le bourgmestre ! Et vous m’avez répondu comment ? Par un rapport plus que succinct, d’une demi-page ! » 

Retour sur la crise sanitaire  

Élie Deblire : « Vous avez eu les factures, je ne sais pas faire un rapport plus précis. Et dans cette crise, que fallait-il faire ? Il fallait acheter des masques en urgence, sans crédit budgétaire, donc ce compte-là nous a permis à un moment donné d’aller à la MRS, à l’ASBL Les Hautes Ardennes, de donner des masques, de sortir des gens d’une crise abominable. 

Et, à un moment donné, on commande ce qui est disponible à ce moment-là, tout ça grâce à ce compte Solidarité. Et puis, on s’est retrouvé avec une somme qui restait en effet sur le compte, que je n’ai pas utilisée, qui est toujours là ; je n’ai pas utilisé cette somme pour la crise ukrainienne car cela n’avait rien à voir.  

On a relancé un appel aux dons pour la crise ukrainienne et les dons ont permis de réagir rapidement. Il y a quand même des délais à respecter justement par rapport aux premières visites de Vinçotte. Rien que le rapport de visite Vinçotte, je ne sais plus combien cela a coûté. Il fallait ensuite mettre aux normes, dans l’urgence pour accueillir les réfugiés, et donc les travaux ont dû être faits rapidement. » 

Jacques Gennen : « Ce que je vous demande une fois encore, s’agissant d’un compte communal, c’est de ne pas le gérer tout seul, Monsieur le bourgmestre. Vous n’en avez d’ailleurs pas le droit, vous devez respecter les règles de bonne gouvernance, les règles de compétence, revoir la directrice financière, revenir régulièrement devant le Collège avec des rapports, pour décision, indépendamment de certaines décisions que vous avez dû prendre dans l’urgence. Vous devez agir dans la légalité et la transparence. » 

François Rion : « Dans la gestion courante, nous avons accepté la délégation de certaines compétences du conseil vers le collège pour des dépenses inférieures à un certain seuil, mais il est prescrit que les dépenses faites par le Collège soient communiquées au Conseil communal. Si cette règle existe, c’est qu’il y a quand même des raisons et qu’il s’agit de bonne gouvernance. Nous devons être informés pour qu’on puisse poser des questions si l’on estime que c’est nécessaire. Pourquoi cela serait-il différent avec le compte Solidarité ? »  

Élie Deblire : « Eh bien, vous aurez le rapport avec les recettes et les dépenses et vous verrez s’il y a des choses anormales et des dépenses excessives. » 

François Rion : « Vous savez, Monsieur le Bourgmestre, si on doit examiner un rapport après deux ans… C’est plus compliqué ! » 

Une intervention qui met fin au débat...